Bruxelles, le 13 mai 2019

 

Note à l’attention de M. Luca Jahier

Président du CESE

 

Objet : Nouvel organigramme du CESE

Réf. : Nos notes des 26 novembre 2018, 17 décembre 2018, 12 février 2019, 14 mars 2019 et 15 avril 2019

 

Le projet de nouvel organigramme suscite de vives inquiétudes et interrogations dépassant largement la simple gestion interne du CESE et que nous soumettons à votre attention dans l’espoir d’obtenir enfin des réponses claires.

Rendre compte de ses décisions, illustrer les raisons qui en sont à la base sont en effet des principes de base de toute administration publique européenne. 

Sur base du projet d’organigramme, le CESE serait la seule institution européenne sans Service Juridique ! Simplement du jamais vu ! 

La question de l’indépendance du Service Juridique au sein du Comité économique et social européen (CESE) a déjà suscité par le passé quelques polémiques et une situation de crise profonde. En effet, un contentieux avait opposé le chef d’unité du Service Juridique au Secrétaire général du Comité avec une série d’arrêts (Arrêt du Tribunal de la Fonction publique du 25 septembre 2012, Bermejo Garde/CESE, affaire F-41/10, Arrêt du Tribunal du 8 octobre 2014, affaire T-530/12 P, Bermejo Garde c/ CESE). Le chef de cabinet du Président du CESE avait alors reconnu « qu’il existait un climat tendu entre le service juridique et le secrétariat général » et que cette difficulté semblait due, entre autres, « à une divergence d’opinion sur le rôle du service juridique ».

Si les environnements politico-administratifs peuvent susciter la volonté de revoir les organigrammes, encore faut-il rappeler que les principes essentiels, fondement de notre système institutionnel, doivent être respectés, parmi lesquels la primauté du droit européen dans notre système institutionnel et la nécessaire indépendance du Service Juridique.

Vous n’êtes pas sans savoir qu’à la Commission des velléités de réorganisation du Service Juridique ont suscité une vive réaction de la part du Parlement Européen, de la presse et des représentants du personnel, obligeant la Commission à démentir formellement un quelconque projet en ce sens. 

Or, alors qu’à la Commission il était question de placer le Service Juridique sous l’autorité du Secrétariat Général, dans le projet d’organigramme du CESE, il s’agirait purement et simplement de le supprimer, faisant ainsi du CESE la seule institution qui ne disposerait plus d’un service juridique.

Une réorganisation pour se débarrasser de toute entrave pouvant s’opposer à une administration de plus en plus autoréférentielle et allergique à toute critique ?

Il ne faut pas oublier qu’au sein de chaque institution l’indépendance et l’excellence du Service Juridique sont aussi une garantie fondamentale pour les citoyens européens qui ont droit à être assurés que toutes les décisions adoptées par les administrations sont pleinement respectueuses du cadre juridique en vigueur.

Ceci concerne aussi le personnel qui a droit à être assuré que les décisions adoptées à son égard sont respectueuses des droits fondamentaux et de l’état de droit. 

Cette exigence semble d’autant plus essentielle compte tenu le contexte délicat dans lequel le CESE se trouve actuellement avec :

1)    des allégations de harcèlement moral avec des enquêtes OLAF en cours,

2)    le suivi de cette situation par la Commission de contrôle budgétaire du Parlement européen qui a soulevé ces problèmes graves lors des débats sur la décharge du budget 2017 du CESE,

3)    l’attention portée par la presse européenne qui a fait état de ces présomptions.

Dès lors, la volonté de revoir l’organigramme et de supprimer le Service Juridique en tant que tel donne lieu à une présomption de motif non avouable.

Dans ces conditions, nous comprenons les inquiétudes selon lesquelles il pourrait s’agir là d’éliminer un service susceptible de rendre des avis contraires concernant la gestion administrative passée et actuelle notamment en matière de cas d’harcèlement qui ont déjà mentionnés dans des arrêts de la Cour (Arrêt du Tribunal de la Fonction publique du 12 mai 2016, affaire F-50/15) et relevés par la Commission de Contrôle Budgétaire du Parlement européen.

En tout état de cause, la suppression du Service Juridique s’inscrirait à rebours et en violation des principes d’organisation fondamentaux des institutions :

          celles-ci reconnaissent la valeur suprême du droit communautaire et son nécessaire respect dans l’intégralité de leurs actions ;

          ce double respect (caractère suprême et garantie d’application) implique l’existence d’un Service Juridique indépendant.

En réponse à l’objection qu’il ne s’agirait pas en l’espèce de supprimer le Service Juridique mais simplement de le remplacer par un Conseiller Juridique directement rattaché au Secrétaire général, il ne devrait pas être ardu de comprendre que l’indépendance suppose une masse critique minimale d’expertise et donc un nombre minimum de juristes encadré par une hiérarchie compétente susceptible de produire les avis demandés.

Au sein des institutions européennes, les Services Juridiques ne sont pas de simples conseillers dociles auxquels l’administration pourrait s’adresser à loisir, mais des véritables structures pleinement indépendantes et chargées de vérifier la légalité des décisions et avis adoptés.

La suppression du Service Juridique est la plus frappante, mais ne constitue pas la seule question et inquiétude suscitée par ce projet d’organigramme.

Nous nous permettons de vous soumettre d’autres interrogations qui imposent une réponse claire de votre part.

Une réorganisation pour organiser des limogeages ?

La proposition de réorganisation prévoit aussi une mobilité des Directeurs, mais en même temps le Comité vient de publier le poste de Directeur des ressources humaines et finances, d’abord en tant qu’AT en corrigeant le lendemain l’avis de vacances pour le limiter au personnel permanent et apparemment d’autres publications sont aussi prévues.

Ceci est de toute évidence incohérent car, conformément au Statut et aux règles internes sur la mobilité du CESE, les Directeurs qui sont en mobilité au Comité ont la priorité.

Sauf si des limogeages de Directeurs en poste étaient d’ores et déjà planifiés, ce que nous vous demandons formellement d’infirmer.  

Une réorganisation pour organiser des parachutages ?

Qui plus est, il semblerait aussi qu’un des postes de Directeur serait publié en externe.

En réponse aux craintes exprimées à cet égard, nous ne voulons pas croire que cette procédure « externe » viserait à permettre la promotion-nomination d’un candidat « externe » en réalité tout à fait interne… permettant un saut de plusieurs grades au profit d’un collègue détaché auprès de votre ou d’un autre cabinet.

Il est évident que, dans un tel cas, la réputation du CESE déjà mise à mal par les difficultés mentionnées ci-dessus en sortirait définitivement entachée.

Nous vous saurions dès lors reconnaissant de nous confirmer s’il est exact que ce poste de Directeur devrait être effectivement publié en externe et dans un tel cas quelles en seraient les justifications.

Une réorganisation pour organiser un « recasage » politique ?

Notre attention a aussi été attirée sur le fait que le nouvel organigramme prévoit un nouveau poste de conseiller.

En réponse aux craintes exprimées à cet égard, nous ne voulons pas croire que cette mesure viserait en réalité à permettre un « recasage » très bien rémunéré au bénéfice d’une personne dont le mandat politique viendrait à échéance prochainement. 

Nous vous saurions dès lors reconnaissant de préciser toutes les justifications de l’inclusion envisagée de ce poste dans l’organigramme.

Conclusion

Compte tenu de ce qui précède, nous ne pouvons que nous joindre aux invitations visant à vous demander de sursoir à l’adoption de ce projet d’organigramme qui est sous plusieurs aspects absolument inacceptable, ceci à commencer par la suppression envisagée du Service Juridique, qui est purement et simplement inqualifiable. 

Il n’est pas nécessaire de souligner qu’il ne s’agit pas là d’une question purement interne au CESE qui se transforme en une administration de plus en plus autoréférentielle et qui aurait la liberté d’adopter un organigramme afin de se débarrasser d’un interlocuteur trop encombrant et trop peu docile.

Il s’agit avant tout de respecter les principes de niveau constitutionnel et les principes fondamentaux d’organisation qui s’imposent à toutes les institutions européennes, y compris au CESE.

Cristiano Sebastiani

Président

 

CC:

M. G. Brunetti, Secrétaire général du CESE

Mme E. O’Reilly, Médiatrice européenne

Mme I. Graessle, Présidente de la Commission du Contrôle budgétaire du Parlement européen

M. V. Itala, DG OLAF

Membres du CESE

Personnel des Institutions