Bruxelles, le 8 avril 2021

Note à l’attention de Charles Michel

President du Conseil

Objet: « Sofagate »

Nous tenons à vous faire part que le personnel de toutes les Institutions partage amplement les réactions outrées, de tout bord, largement relayées, par la presse concernant ce qui est désormais devenu le « Sofagate ».

Il est simplement intolérable et scandaleux de découvrir sur les réseaux sociaux et dans les médias, des images d’une scène appartenant à un autre siècle où les femmes étaient inférieures aux hommes. Vous et notre Présidente, étiez conviés, à une réunion avec le Président turc Recep Tayyip Erdoğan, à Ankara. Or, seuls deux fauteuils étaient prévus dont l’un occupé par le Président turc et vous n’avez aucunement hésité à vous assoir sur le second tandis que la Présidente von der Leyen a été reléguée sur le canapé !

L’Union européenne a instauré auprès des États Membres une politique d’égalité de traitement entre les femmes et les hommes, dénonçant tout acte sexiste et favorisant la diversité et l’inclusion. Comment expliquez-vous ces politiques lorsque vos actions ne suivent pas ? 

D’une part, nous tenons à exprimer toute notre solidarité à notre Présidente pour le traitement absolument humiliant et injustifié qui lui a été réservé.

D’autre part, s’il est déjà absolument inacceptable et indigne du plus délabré des protocoles que notre Présidente ait été oubliée dans la répartition des sièges, il est encore plus stupéfiant que vous n’ayez pas eu la sensibilité de ne pas vous prêter à cette mascarade protocolaire de mauvais goût ne démontrant aucune solidarité institutionnelle ni simple galanterie en vous empressant d’occuper la seule chaise disponible, laissant notre Présidente débout, mais on ne peut plus digne! 

Ainsi, si comme la presse l’a souligné, à très juste titre, bien que la Président Erdoğan ait pu être l’instigateur de cet affront diplomatique, vous n’avez aucune excuse pour ne pas avoir été sur vos gardes.

Et il ne s’agit pas seulement des subtilités du protocole ou d’une tempête de « canapés diplomatiques ».

Qu’il suffise de rappeler que le traitement délibérément humiliant réservé à notre Présidente intervient quelques semaines à peine après que l’UE ait condamné la Turquie pour s’être retirée de la Convention d’Istanbul, un traité international sur les droits de l’Homme visant à prévenir la violence contre les femmes.

Si l’UE veut sérieusement exiger de la Turquie qu’elle respecte les droits des Femmes, personne et encore moins le Président du Conseil ne peut être complice de l’humiliation de la femme, devenue première Présidente de la Commission européenne.

Le protocole, la politique et les politiques ne sont pas séparables, comme chaque diplomate le sait : « le protocole, c’est de la politique », parfois même la plus subtile. 

Dans une telle situation, nous nous serions attendus que votre première réaction aurait été de présenter vos excuses à notre Présidente et à tous les citoyens européens outrés.

Tout au contraire, les prises de positions de votre entourage ainsi que votre communiqué de presse essayant de justifier ce qui, de toute évidence, est injustifiable n’ont fait qu’empirer la gravité de la situation.

Comment prétendre faire appel aux règles protocolaires alors que la presse a directement publié les photos de la visite à Ankara le 16 novembre 2015 des anciens Présidents Tusk et Junker, tous deux bien assis chacun sur son fauteuil, aux côtés du Président Erdoğan ?

Comment osez-vous franchir la dernière frontière du ridicule en prétendant face à un désastre protocolaire d’une telle ampleur que cette visite aurait été « le résultat d’une préparation minutieuse et d’un travail diplomatique mené depuis de longs mois » ?

Certes, le ridicule ne tue pas mais met néanmoins mal à l’aise!

Nous nous réjouissons d’apprendre qu’une enquête sera ouverte pour déterminer comment cet incident diplomatique ait pu se produire, afin de vérifier quelles ont été les défaillances lors de la préparation, le manque d’attention à la procédure et au protocole et surtout d’éviter que de tels accident puissent se reproduire.

Cette enquête interne est d’autant plus urgente puisque le Ministre turc des Affaires étrangères vient de déclarer à la presse que lors de cette visite le protocole proposé par les Institutions européennes a été scrupuleusement respecté.

Néanmoins, quelles que soient les conclusions et les conséquences qu’il conviendra d’en tirer, rien n’effacera la gravité de l’insulte infligée à notre Présidente et de facto à toutes les femmes. 

Vous avez dit que vous êtes « peiné puisque cette situation a occulté le travail géopolitique majeur et bénéfique que nous avons réalisé ensemble à Ankara et dont j’espère que l’Europe récoltera les fruits ».

Nous sommes au regret de vous faire savoir que le seul résultat de cette « situation » qui a fait la une de la presse mondiale c’est le sentiment généralisé « de honte » comme l’a souligné à très juste titre le groupe du PPE au PE.

Il s’est agi là sans le moindre doute d’une page noire qui restera à tout jamais dans les annales et les esprits !

Cristiano Sebastiani,

Président

Copies : Mme U. von der Leyen, Présidente de la Commission européenne

M. D. Sassoli, President du Parliament européen

M. N. Meyer-Landrut, Chef de Délégation en Turquie

Le personnel des Institutions