Bruxelles, le 15 avril 2019

 

Note à l’attention de Monsieur Günther OETTINGER,

Commissaire en charge du Budget et des Ressources Humaines

Objet : Réforme des procédures de nomination des postes d’encadrement supérieur au sein des institutions européenne – Votre intervention au séminaire du lundi 15 avril 2019 organisé par la Commission Cont du PE

 

Le 15 avril prochain vous êtes appelé à intervenir lors du séminaire organisé par la Commission Cont du PE relatif à la réforme des procédures de nomination des postes d’encadrement supérieur au sein des institutions européennes.

A cette occasion, R&D premier syndicat de la fonction publique européenne espère que notre institution sortira de son attitude défensive en apportant une contribution efficace à ces discussions afin de renforcer la compétence et l’indépendance des candidats retenus par le biais de procédures objectives de sélection mettant ainsi fin à la politisation croissante de ces nominations.

Force est de rappeler que l’enjeu de la Réforme des procédures de nomination dépasse largement le souci de préservation des attentes de carrière du personnel, même si ces préoccupations comptent aussi.

La Commission doit rappeler haut et fort que seule l’indépendance individuelle des fonctionnaires européens peut garantir l’indépendance des administrations auxquelles ils appartiennent.

Elle doit réaffirmer que les caractères essentiels de toute fonction publique sont particulièrement nécessaires à la fonction publique européenne.

En effet, les pressions subies par la fonction publique sont décuplées au niveau européen. Il est donc fondamental de rappeler que les nominations des postes d’encadrement dans la fonction publique européenne doivent rester étanches vis-à-vis des pressions de toutes sortes, que celles-ci proviennent des forces politiques, des intérêts économiques, des prétentions des Etats membres ou en interne.

 

1. La Commission doit être à la tête et non pas à la traîne des discussions visant à réformer ces procédures

L’étude du Parlement européen sur les procédures de nomination des hauts fonctionnaires dans les institutions, confirme les positions défendues par R&D depuis longtemps.

Nous invitons la Commission à prendre en compte les constats, les analyses et les conclusions repris dans cette étude ( lire ).

En effet, cette étude confiée à Blomeyer & Sanz prend en compte les aspects juridiques et éthiques des procédures de nomination des hauts fonctionnaires. Elle se base sur des analyses approfondies et de droit comparé. En premier lieu, elle constate, chiffres et statistiques à l’appui, que la politisation s’est accrue au fil des ans en la matière. Il s’agit là d’un constat incontestable. 

C’est la raison pour laquelle la mise en place de structures plus transparentes et indépendantes s’impose.

Aussi l’étude recommande toute une série de mesures, notamment l’adoption d’une procédure spéciale pour la nomination du Secrétaire général de la Commission étant donné sa position au plus haut niveau ainsi que son rôle spécifique combinant à la fois la dimension politique et le rôle administratif et de management.

Parmi les autres mesures qui s’imposent, nous attirons particulièrement l’attention sur celle qui recommande d’améliorer la clarté et limiter les risques de mauvaise application voire de mauvaise administration (article 7 et article 29 du statut) en confirmant que la publication du poste est et doit rester la règle.

Il faut aussi simplifier la gestion de la procédure de nomination en ce qui concerne les critères et justifications de choix entre procédure interne et procédure ouverte externe, renforcer la surveillance et le contrôle indépendant, régler les problèmes d’expertise des membres des commissions de sélection, ajouter aux dispositions existantes sur les conflits d’intérêt des dispositions sur la gestion de la phase de développement de la nomination.

Des pas supplémentaires sont également recommandés en matière de réexamen judiciaire en proposant que le Médiateur ait la capacité de lancer une procédure pour que la Cour de Justice confirme ou infirme la mauvaise administration.

Nous soutenons ces propositions avec conviction et nous espérons qu’elles puissent être enfin accueillies par la Commission.

 

2. La Commission doit sortir de son déni de réalité et reconnaître enfin que la politisation actuelle de ces nominations n’est plus tolérable

Comme la Médiatrice européenne l’a rappelé à très juste titre :

« (…) il est urgent d’éviter la politisation de notre fonction publique, de rassurer les citoyens quant à sa capacité à défendre l’intérêt général et son indépendance des pressions politiques ainsi que de défendre les attentes légitimes de notre personnel ainsi que la transparence et la crédibilité de nos procédures de nomination. »

Par nos différentes notes (12/03/2019, 22/02/2019, 19/02/2019, 01/06/2018, 26/04/201823/03/2018, 28/02/2018) et prises de positions (lire notre dossier parachutages) nous avons à maintes reprises attiré l’attention sur le caractère inacceptable de plusieurs pratiques constituant autant d’exemples de politisation de ces nominations. Les parachutages sont le premier symptôme mais pas le seul de cette politisation.

2.1) « Les parachutages » à savoir la mainmise des membres de cabinet sur les postes d’encadrement de la Commission : s’agit-il de les interdire ou de les libéraliser ? 

Nous tenons d’emblée à confirmer que pour R&D, il n’a jamais été question de mettre en cause les mérites de nos collègues des cabinets sans néanmoins oublier qu’ils profitent déjà de promotions beaucoup plus rapides par rapport aux autres collègues.

Il s’agit avant tout de s’opposer à la politisation des nominations et défendre l’indépendance et la crédibilité de notre fonction publique, de notre institution, de ses procédures de recrutement et de nomination ainsi que de prendre en compte les effets dévastateurs de ces pratiques sur la motivation du reste du personnel

Comme Mme Graessle l’a rappelé à très juste titre :

« (…) Les grands perdants de ces pratiques de parachutages sont donc les fonctionnaires avec une carrière » normale », sans proximité politique (…). Ces pratiques suscitent la frustration du personnel qui estime que leur carrière dépend davantage de l’arbitraire que de la rationalité ».

Pour apprécier l’ampleur de ce problème, comme Mme Graessle vous l’a rappelé lors de la table ronde qui s’est tenue le 25 septembre dernier ( lire ), sur base des statistiques fournies par la Commission, il apparaît que :

“ depuis 2013, ce sont essentiellement des anciens membres de cabinets à avoir été nommés sur des postes d’encadrement supérieur »

En réponse à ces objections vous avez indiqué que la Commission a adopté des instructions :

« Interdisant qu’un membre de cabinet soit nommé sur un poste d’encadrement supérieur dépendant de ses responsabilités ».

Il convient de rappeler « l’évolution » de ces instructions auxquelles vous vous êtes référé.

La « valse-hésitation » des prises de positions de la Commission concernant les instructions au sujet des parachutages

1) «  Un pas en avant » :  premières déclarations de MM Selmayr et Italianer lors de la réunion des Chefs de cabinet du 30 janvier 2017 (cf. point 7.12).

A cette occasion il avait confirmé que :

“Ne seront pas admises :

les nominations des membres de cabinet à des postes d’encadrement dans la direction générale dépendant de leur portefeuille et placés sous leur supervision directe,

de même que les nominations de membres de cabinet dans une direction générale pour y obtenir une promotion et leur réintégration dans un cabinet aussitôt cette promotion obtenue.”

A l’appui de ces instructions, il avait été enfin reconnu que, comme R&D l’avait toujours dit :

“ces pratiques sont démotivantes pour le reste du personnel qui n’est pas promu avec la même rapidité que les membres de cabinet.”

Malgré le scepticisme du personnel qui nous avait informés ne pas croire en une véritable prise en compte de ces instructions, nous nous étions toutefois réjouis de constater que pour la première fois la Commission reconnaissait l’existence de ce problème toujours nié par l’administration ainsi que ses effets néfastes sur la motivation du personnel.

2)  « Cent pas en arrière » nouvelles déclarations de MM Selmayr et Italianer (cf. point 7.5) à l’occasion de la réunion des chefs de cabinets du 23 novembre 2017

A cette occasion en réduisant drastiquement la portée des premières déclarations, il avait été « précisé » que ces instructions ne concernent pas :

« les membres des cabinets du président et des vice-présidents étant donné qu’ils n’ont pas la responsabilité directe d’une direction générale mais une responsabilité horizontale de coordination couvrant plusieurs portefeuilles et directions générales ».

Et pour les autres cabinets que :

« en règle générale les membres ne devraient pas être promus à des postes d’encadrement supérieur dans la direction générale placée sous l’autorité directe de leur commissaire de tutelle (cas dénommé de « parachutage ») »

D’une part, nous avions d’emblée noté qu’il était surprenant que la nature très large des compétences des Vice-présidents ait été invoquée pour soustraire les membres de leurs cabinets aux instructions en matière de parachutages, alors que ceci n’a pas été pris en compte dans la proposition du nouveau code de bonne conduite pour les membres du Collège, afin d’apprécier le risque accru de conflit d’intérêt après la fin de leur mandat, en appliquant aux Vice-Présidents le même délai de vacuité de 3 ans qui sera en revanche limité au seul Président, comme il avait été pourtant demandé par la Médiatrice européenne et par le Parlement.

D’autre part, nous avions attiré l’attention sur le fait que sur base de l’évolution de ces instructions, plusieurs dizaines d’autres membres de cabinets, qui faisaient l’objet des restrictions découlant des déclarations initiales du 30 janvier 2017 étaient devenus librement « parachutables ».

L’effet utile de ces instructions tellement « évolutives » serait-il d’assurer « Quartier libre » pour les parachutistes ?

Compte tenu de ce qui précède nous voudrions être rassurés que le résultat de cette « valse-hésitation » organisée autour de ces instructions ne soit pas que :

Þ  Les parachutages sur des postes d’encadrement intermédiaires :

  • seraient libres sans restriction et pour tous les membres de cabinets

Þ  Les parachutages sur des postes d’encadrement supérieur :

  • seraient libres pour les membres de cabinet du Président et des Vice-présidents
  • seraient aussi libres pour les membres des autres cabinets sauf sur les postes “dépendant de leurs responsabilités », et eu égard aux critères d’éligibilité pour ces postes et au profil des membres de cabinets concernés, cette interdiction concerne potentiellement une dizaine de collègues à peine.

« Il faut que tout  change pour que rien ne change 1 »… voire faire pire ? 

Ainsi, le véritable effet utile de ces déclarations ayant enfin reconnu les effets dévastateurs des parachutages sur la motivation du reste du personnel, aura été de « libéraliser » et reconnaître le caractère acceptable de nominations qui jusque-là avaient toujours été considérées – aussi par les biais des instructions de janvier 2017 – comme étant des cas indiscutables de parachutages.

Compte tenu de ce qui précède, il s’avère inutile de souligner que vos instructions mentionnées en réponse au constat de Mme Graessle, ne sont d’aucune manière susceptibles de constituer ne serait-ce qu’un tout début de réponse à l’abus de parachutages constaté et que, dès lors, des mesures bien plus rigoureuses et crédibles s’imposent.

Et ces mesures s’imposent d’urgence dans cette phase finale de la Commission Juncker avec 22 commissaires qui ne siègeront probablement pas au nouveau Collège et notre Président qui a annoncé ne pas être candidat à sa succession, une véritable invasion de parachutistes est déjà bel et bien organisée, plusieurs d’entre eux étant planifiés à cheval du renouvellement du Parlement européen !

2.2) Les prétentions d’ingérence des Etats membres dans l’organisation des services

Pire encore, les parachutages ne sont pas les seuls exemples d’interférences et de politisation des nominations auxquelles le personnel assiste écœuré.

En effet, certains représentants d’Etats membres semblent devenir de plus en plus intrusifs en prétendant s’immiscer aussi dans l’organisation interne de nos services.

Sous prétexte de défendre les attentes de carrière des fonctionnaires de même nationalité, ils font semblant d’oublier que la priorité doit toujours être donnée aux qualités professionnelles des candidats, alors que la nationalité ne reste qu’un facteur secondaire à prendre en compte.

En invoquant à tort et à travers l’équilibre géographique dans le partage des postes d’encadrement et en prétendant l’appliquer aussi à la plus petite échelle, en défendant avec acharnement certains candidats au détriment d’autres aussi de même nationalité, ils en arrivent à revendiquer un quota fixe de leurs ressortissants dans l’organigramme de chaque Direction générale.

Quota qui dans tous les cas doit être assuré également lors d’une réorganisation profonde d’une Direction générale, comme si, les profils et les compétences recherchés étaient parfaitement fongibles même en cas de changement de missions d’un service.

En guise d’exemple, dans le cadre d’une réorganisation, en cours d’une Direction générale de la Commission, après la publication du projet d’organigramme il nous revient qu’une représentation permanente en serait arrivée à dicter une « formule magique » qui dans tous les cas doit être respectée, à savoir le quota des postes attendus dans l’organigramme pour des fonctionnaires de cette nationalité et par type de fonctions, en descendant dans les calculs jusqu’au niveau de chef d’unité adjoint.

D’aucuns imaginent à présent qu’une telle prétention de toute évidence inacceptable ne serait pas fermement rejetée par notre institution, mais tout au contraire serait même susceptible de mettre en cause l’adoption de l’organigramme de cette DG s’il n’était pas modifié, et ceci, afin « d’honorer » la partie la plus « noble » de ladite « formule magique » !

De telles pratiques ne manquent pas d’accroître la démotivation des autres membres du personnel qui, très naïvement mais en étant fiers de l’être, restent encore et toujours fidèles à leur mission de fonctionnaires de l’UE et refusent catégoriquement de devoir renoncer à leur indépendance en étant réduits au rôle de simples mandatés de leur Etat Membre à qui ils-elles devraient leur nomination, et ce, afin de préserver leurs perspectives de carrière.

Conclusion : « Commission de la dernière chance » ou dernière chance de la Commission ?

En conclusion, nous demandons une fois de plus que la Commission sorte enfin de sa stratégie de « bunkérisation » intenable doublée d’une communication totalement à côté de la plaque adoptée dans sa défense à outrance de la procédure de nomination du Secrétaire général, qui auront fait le jeu de toutes les pulsions eurosceptiques en faisant croître la colère du Parlement européen, de la presse et de tous les observateurs.

Nous espérons qu’à partir de votre intervention lors de ce séminaire notre institution fasse enfin preuve de bon sens en acceptant les recommandations de la Médiatrice et du Parlement européen, les résultats de l’étude, concernant la nécessité de reformer ces procédures afin de mettre fin à la politisation actuelle de ces nominations.

Notre institution doit mettre toutes ses compétences au service d’une telle réforme en la revendiquant à son honneur plutôt que de se la faire imposer dans quelques mois lorsque votre successeur devra obtenir le vote de confiance du PE dans le cadre de la nomination de la prochaine Commission.

 

Cristiano Sebastiani,

Président

 

 

Copie :

M. J-C Juncker, Président de la Commission européenne (CE)

M. A. Tajani, Président du Parlement européen (PE)

Mesdames et Messieurs les Membres du Collège

M. Selmayr, Secrétaire général de la CE

Mme E. O’Reilly, Médiatrice européenne

Mesdames et Messieurs les Directeurs généraux de la CE

Mesdames et Messieurs les Membres du Comité du Contrôle budgétaire du PE

Mesdames et Messieurs les Membres de la Commission des Affaires juridique du PE

Mesdames et Messieurs les Membres de la Commission Pétition du PE

Comité Central du Personnel

Le Personnel des institutions européennes

 

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1 Le Guépard, par Giuseppe Tomasi di Lampedusa