Bruxelles, le 12 octobre 2017

Note à l’attention de Monsieur Jean-Claude JUNCKER

Président de la Commission européenne

 

Objet: Votre annonce du 13 septembre dernier sur le renforcement du code de bonne conduite pour les Commissaires, les règles et procédures en matière d’activité à la fin du mandat et la gestion des conflits d’intérêts

Réf.:    Dossier Barroso (cf. Dossier novembre 2016)

Nos notes concernant l’affaire Barroso et la nécessité de réformer le code de bonne conduite

Note à l’attention de M. Italianer, Secrétaire général: réponse à notre note du 02 mai 2017 ( lire )

Note à votre attention: Affaire Barroso, décision du 24 février 2017 de la Médiatrice européenne d’ouvrir une enquête…  – 07 mars 2017 (lire)

Note à votre attention: Affaire Kroes, décision de la Commission du 21 décembre d’infliger un blâme à l’ancienne Vice-présidente Kroes… – 10 janvier 2017 (lire)

Note à votre attention: Bahamas Papers » et articles parus dans la presse européenne… 23 septembre 2016 (lire)

Note à votre attention: Affaire Barroso, votre réponse du 9 septembre dernier à la Médiatrice européenne -14 septembre 2016 (lire)

Note à votre attention: Affaire Barroso – 09 septembre 2016 (lire)

Note à votre attention: Nomination de M. Barroso en tant que conseiller et président non exécutif des activités internationales auprès de la banque d’affaires international Goldman Sachs – 04 août 2016 (lire)

Note aux membres du Collège – 12 juillet 2016 (lire)

Lettre ouverte à M. Barroso – 12 juillet 2016 (lire)

 

 

D’emblée, nous tenons à vous faire part des nombreuses réactions positives des collègues à la suite de votre annonce de réformer profondément le  code de conduite des membres de la Commission.

En effet, par votre décision de reformer en profondeur le code de bonne conduite, l’institution démontre enfin même si tardivement tout le bien fondé, entre autres, de la demande de milliers de membres de votre personnel qui ont fait appel à votre sensibilité en vous manifestant leur confiance par le biais de la pétition « Pas en notre nom » que R&D a soutenu avec la plus grande conviction.

 

Rappel des faits

Dès le déclenchement de l’affaire Barroso et Kroes, par le biais de nos multiples notes citées en référence et tout en soutenant avec conviction les prises de position très claires de la Médiatrice européenne et du Parlement européen, R&D a attiré toute votre attention sur le besoin urgent et l’obligation d’assurer une gestion rapide, efficace et rigoureuse de ces dossiers qui ont suscité des réactions plus que virulentes et qui ont profondément mis en cause la crédibilité de notre institution (cf. dossier Barroso-Kroes).

Parallèlement, et dans le plus grand respect de l’autonomie du collectif des collègues qui en sont à l’origine, R&D a immédiatement soutenu la pétition « Pas en notre nom« .

Nous avons regretté l’attitude léthargique de notre institution qui a donné l’impression de cultiver l’illusion – tant par son inaction que par ses réactions, de toute évidence inadéquates – que ces affaires s’estomperaient et ceci  malgré toutes les sollicitations du personnel et de ses représentants ainsi que les réactions politiques au sein de tous les Etats membres.

Cette attitude n’a pas manqué d’exacerber les réactions des citoyens, de votre personnel, de la presse et de provoquer des prises de position de plus en plus fermes et critiques du Parlement européen concernant la gestion de ces affaires.

Force est de rappeler que concernant l’affaire Barroso, la décision du 24 février dernier de la Médiatrice européenne (Complaint 194/2017/EA), d’ouvrir une enquête formelle concernant la manière dont notre institution a géré le pantouflage de notre ancien président n’est que la dernière étape en date d’un processus que notre institution a géré d’une manière absolument insatisfaisante en mettant en cause tant sa crédibilité que la confiance de son personnel.

Concernant l’affaire Kroes par notre note du 10 janvier 2017, nous avons déjà dû constater le caractère risible des arguments que Mme Kroes a invoqué pour justifier les faits qui lui étaient reprochés et le caractère peu crédible des décisions de la Commission adoptées en catimini le 21 décembre dernier, en l’occurrence. Nous avions été au regret de dénoncer cette éthique à double vitesse : l’indulgence sans limite réservée à l’égard de Mme Kroes n’est en aucun cas comparable aux sanctions qui seraient rendues par l’AIPN -pour des faits similaires- à un quelconque membre du personnel. A cet égard et pour apprécier le caractère proportionnel de cette décision et à nouveau l’existence d’une éthique à double vitesse, il est inutile de se lancer dans des spéculations pour imaginer quel aurait été le sort d’un quelconque membre du personnel confronté à ces mêmes allégations et, à savoir, s’il aurait pu être blanchi par l’IDOC et/ou l’AIPN en invoquant, à l’instar de Mme Kroes, le fait de continuer à l’insu de son plein gré à être administrateur d’une société qui ne sert à rien, à l’autre bout du monde, dans un paradis fiscal !

Et comme demandé par les signataires de la pétition, par le Parlement Européen, par la Médiatrice Européenne, nous avions indiqué qu’il était urgent de procéder à une réforme profonde des règles d’application en  matière de conflits d’intérêts des anciens membres du collège.

 

A cet égard, nous avons souligné le caractère inadéquat, insuffisant et incomplet de la première proposition de réforme du code de bonne conduite

En particulier, nous nous sommes réjouis de votre annonce de novembre dernier d’étendre de 18 mois à 2 ans pour les anciens commissaires et à trois ans pour le président de la Commission le délai de viduité leur imposant  d’informer l’institution avant d’exercer une nouvelle fonction.

En particulier, tout en appréciant votre décision par notre note du 15 novembre 2016 (lire), nous vous avions invité à ne pas en rester là car les mesures envi­sagées étaient de toute évidence inadéquates, insuffisantes et incomplètes face à la gravité de la crise de crédibilité qui a atteint notre institution.

Nous avions souligné qu’il fallait donc poursuivre ces efforts en renforçant les règles d’application en la matière en mettant en place un véritable comité indépendant remplaçant le comité d’éthique ad hoc qui n’était de toute évidence pas en mesure de fournir les garanties que les citoyens sont en droit de demander. Nous nous étions aussi permis de noter que la Commission  devait abandonner les approches purement bureaucratiques et formalistes et qu’il était essentiel que les commissaires évitent non seulement les situations de conflit d’intérêts, mais aussi les situations pouvant être perçues comme telles.

Comme tous les observateurs l’ont indiqué et comme confirmé par le Parlement européen par sa résolution adoptée à une très écrasante majorité le 1er décembre dernier (2016/2080(INI)), no­nobstant votre décision d’étendre le délai de viduité, les procédures concernant la gestion des conflits d’intérêts des membres et anciens membres de la Commission demeuraient largement insuffisantes pour permettre à la Commission de gérer de telles affaires qui ont un effet dévastateur sur la crédibilité de notre institution et du projet européen.

 

Nous saluons votre prise de position à l’occasion du discours sur l’état de l’Union du 13 septembre dernier

Compte tenu de ce qui précède, c’est avec satisfaction que nous avons pris note de votre annonce d’une réforme profonde du code de conduite des membres de la Commission qui ne se limite plus à étendre simplement les délais et prévoit, notamment:

  • l’établissement de règles plus claires et de normes éthiques plus élevées,
  • l’introduction d’une plus grande transparence dans un certain nombre de domaines,
  • la création d’un comité indépendant d’éthique en lieu et place de l’actuel comité d’éthique ad hoc, afin de renforcer son statut, ainsi que le contrôle qu’il exerce et de lui permettre d’émettre des avis sur les règles d’éthique.

 

Nous avons aussi  particulièrement apprécié que le nouveau code de conduite définira, pour la première fois, ce qu’est un «conflit d’intérêt» et retiendra le principe -que nous avions sans cesse – rappelé que les commissaires doivent éviter non seulement les situations de conflit d’intérêts, mais aussi les situations pouvant être perçues comme telles.

De plus, si d’anciens commissaires ont l’intention de travailler dans des domaines ayant un rapport avec leurs anciens portefeuilles, il importe au préalable qu’ils consultent le comité d’éthique indépendant. Désormais, les décisions de la Commission et les avis du comité relatifs à ces décisions seront rendus publics.

De même, il est appréciable que, concernant les tâches pouvant être accomplies par les anciens membres du collège, des restrictions dans certaines activités sont établies  notamment celles de faire pression auprès des membres ou du personnel de la Commission, ces mêmes missions qu’au contraire notre ancien Président Barroso avait imaginé pouvoir accomplir.

Enfin, des règles plus strictes s’appliqueront également aux intérêts financiers des commissaires. Ils seront tenus de déclarer tout investissement supérieur à 10 000 euros, qu’il puisse ou non y avoir conflit d’intérêt et en cas de conflit d’intérêt dû à un bien déterminé appartenant à un commissaire, le président sera habilité à demander la cession de ce bien ou son placement dans un trust aveugle.

 

Conclusion : Potius sero quam nunquam

S’il est évident qu’il vaut toujours mieux tard que jamais, il est néanmoins triste d’avoir dû attendre aussi longtemps pour la reforme de ce code de bonne conduite.

D’une part, nul ne peut nier que, prises dans leur ensemble, vos propositions constituent un changement considérable d’approche et mettent en place un cadre légal bien plus rigoureux et cré­dible.

D’autre part, les milliers de collègues ayant signé la pétition  « Pas en notre nom« , tout comme toutes les autres instances et institutions vous ayant adressé la même invitation, auraient mérité plus d’attention et d’écoute alors que pendant de longs mois notre institution s’est livrée à une défense désespérée et désespérante du caractère exemplaire de l’ancien code de bonne conduite dont les limites et l’inadéquation étaient pourtant incontestables.

Qu’il nous soit permis de constater que, si votre décision de reformer en profondeur ces règles avait été adoptée directement après l’explosion des affaires Barroso et Kroes en reconnaissant d’emblée toutes les limites de l’ancien code de bonne conduite, notre institution aurait pu éviter les critiques, les réactions des citoyens, de votre personnel, de la presse et les prises de position de plus en plus fermes et critiques de la Médiatrice européenne, du Parlement européen….

Le fait que la Commission ait par son attitude et son inaction largement contribué à alimenter toutes ces réactions permet à d’aucuns de prétendre que c’est uniquement en réponse à ces pres­sions que notre  institution aurait à présent été contrainte de réformer les règles en question …ces mêmes règles dont il y a quelques semaines, elle osait encore confirmer le caractère exemplaire… en étant de toute évidence la seule instance de la planète à y croire…

Dans l’attente de connaître plus en détail tous les aspects de votre proposition dont nous tenons de nouveau à vous remercier, nous exprimons le vœu qu’à l’avenir il soit possible d’établir un meilleur dialogue franc et ouvert avec votre personnel et ses représentants aussi sur des thèmes ne relevant pas uniquement de la politique du personnel.

Il ne faut jamais oublier que dans votre action de relance du projet européen que vous avez présenté lors de votre discours sur l’état de l’Union et que nous apprécions très sincèrement, votre personnel reste encore et toujours votre premier et meilleur allié.

Cristiano SEBASTIANI,

Président

 

Copies: Mmes et MM les membres du Collège

Mme E. O’ REILLY, Médiatrice européenne

M. Pascal Durand Membre du PE

Le personnel de la Commission