La fonction publique européenne : un terrain particulièrement propice au harcèlement moral
Juin 2001

Les observateurs s'accordent à considérer que le harcèlement moral se manifeste à une plus grande échelle dans le secteur public. Tandis que dans le secteur privé il est plus brutal, dure moins longtemps et se termine assez souvent par le licenciement de la victime, dans le secteur public le harcèlement moral peut durer plusieurs années car, en principe, les personnes sont protégées et ne peuvent pas être licenciées à moins d une faute très grave.

Pour cette raison, les méthodes de harcèlement sont plus pernicieuses, et aboutissent à des résultats dramatiques sur la santé et la personnalité et des victimes.

En l'absence d une enquête méthodiquement conduite auprès des fonctionnaires européens, il est difficile d'avancer une évaluation quantitative fiable du phénomène.

Néanmoins, si l'on se réfère, d'une part aux études menées sur les fonctions publiques nationales et, d'autre part, à un certain nombre de plaintes ou de recours présentés dans le contexte des procédures de notation, promotion, nomination, temps partiels ou départs en invalidité, il apparaît que les institutions européennes sont particulièrement concernées par les tendances caractérisant les conditions de travail des fonctions publiques nationales.

Il est certain que les institutions européennes, chantiers en perpétuelle évolution, en butte à des réformes et restructurations périodiques hâtives et mal conçues, offrent un terrain particulièrement fertile pour les règlements de compte et autres formes de vexation. Le personnel des institutions européennes est souvent victime de harcèlement en raison des particularités suivantes:

- les institutions européennes sont des lieux de travail où sont amenées à cohabiter différentes idiosyncrasies et langues nationales, le plus souvent dans la plus grande impréparation.

- ce caractère multiculturel des institutions rend plus difficile une intervention : le plus souvent, les autres membres de la hiérarchie refusent d intervenir, ce qui revient à se solidariser avec le harceleur et à accroître sa liberté d action.

- vivant dans un pays dont ils ne sont pas originaires, c-à-d sans les éventuels soutiens apportés en cas de coup dur par la famille ou les amis, et y consacrant la plus grande partie de leur carrière, la plupart de nos collègues sont d'autant plus vulnérables en cas d'agression dirigée contre eux et n'ont pas de moyens suffisants pour se défendre ;

- l'arbitraire des petits chefs s y exerce de manière plus longue : le rôle des chefs d'unité dans l'acceptation des demandes de congés, l'attribution des temps partiels, ou la répartition des tâches, offre un terrain favorable à des brimades, sinon à des opérations systématiques de déconsidération de la valeur professionnelle du personnel visé;

- pour certaines catégories de personnel (auxiliaires, temporaires etc..) qui n ont pas droit à la mobilité comme les fonctionnaires, ces brimades peuvent être particulièrement fortes, parce que la victime n'a pas d'autre choix que de tout accepter ou de perdre son emploi et, dans la plupart des cas, d'avoir à se réinstaller dans un autre pays ;

- par ailleurs, la mobilité à laquelle les fonctionnaires sont incités, peut constituer un alibi de plus au harcèlement, afin de dégager un poste que la hiérarchie souhaite voir occupé par quelqu'un d'autre. De plus si la victime fuit, elle risque de se fragiliser à la longue et devenir un cas social (non reconnaissance de la culpabilité du harceleur!).

- il faut, enfin, mentionner le personnel des délégations, qui vit dans une sorte de microcosme, dans lequel le chef de délégation est tout puissant, ce qui, en cas de harcèlement, ne laisse à la victime que trop peu de moyens de défense.

Face à ce diagnostic, force est de constater qu'au sein de la Commission, les dispositifs statutaires et administratifs susceptibles de parer en temps utile aux effets des processus de harcèlement sont absolument limités et inefficaces et tendent à entrer en vigueur trop rarement et trop tardivement pour pouvoir être efficaces.

D'autre part, trop de services sont, en principe, "compétents" en la matière, tout en ne disposant pas des moyens nécessaires à une intervention adaptée - qu'il s agisse des services d assistance sociale, en sous-effectif endémique, des services médicaux, des comités paritaires pouvant être saisis de situations administratives anormales, comme les comités du temps partiel ou des notations, ou encore du service du médiateur qui n'est absolument pas à la hauteur des besoins du personnel.

Dans ce contexte, les organisations syndicales sont systématiquement appelées à suppléer à ce manque cruel de structures de culture.

A la relative impréparation et inadéquation des services dont la taille ne permet pas le traitement de cas nombreux et souvent complexes, s'ajoute la crainte des personnes concernées d'être incomprises et d'aggraver dès lors leur situation vis-à-vis de l'administration.

Si de telles appréhensions sont souvent malheureusement légitimes, elles ne facilitent pas la prise en charge des problèmes en temps utile et ont pour effet global de conduire à une sous-estimation de la dimension réelle du problème.